Elle a versé ces larmes rares qui
accompagnent les encore plus rares moments de pur bonheur que nous ressentons
parfois. Julie a pleuré de voir notre fils se blottir contre elle pour se calmer
de son mal-être de la nuit. Julie a pleuré de ce câlin qu’il lui a fait, à
elle, mais aussi au petit être dont il sera le grand frère. Julie a pleuré de
joie en pensant à cette famille, SA famille.
En général, quand notre garçon passe une
mauvaise nuit et a besoin d’être rassuré pour se rendormir, c’est Julie qui va
s’installer dans le clic-clac avec lui. Ce n’est pas que je n’en ai pas envie,
mais nous ignorons le temps qu'il mettra à se rendormir et Julie et moi
avons préféré la solution la plus sage : favoriser mon sommeil avant l’heure
de route qui m’attend pour aller au boulot le matin. Nous préférons tous les
deux une maman fatiguée à un papa qui dort au volant. Donc, cette nuit-là,
Julie est allée "dormir" avec notre fils et il s'est passé ce qu'elle a
écrit.
Il devait vraiment avoir mal
dormi puisque le lendemain en me levant, alors que j'entendais habituellement
son râle de futur Mâle réveillé par mes bruits, il n'y avait que le silence. La
porte de sa chambre était restée entrouverte, mais je n'ai pas osé aller voir
mes amours et je les ai laissé se reposer encore un peu. J'ai allumé la télé en
sourdine en prenant mon petit déjeuner seul dans le calme, puis me suis préparé
pour filer. Mes anges se sont levés pendant ce temps et j'ai pu les embrasser
tous les deux en les serrant dans mes bras. Julie m'a juste dit qu'il s'était
endormi contre elle et j'ai ressenti une pointe de jalousie de ne pas être allé
dormir avec eux. Mais j'ai tellement de câlins de mon fils que je peux bien
laisser à Julie ce genre de petits moments.
Ce n'est qu'en milieu de matinée
que j'ai appris quelles avaient été les émotions
de Julie dans la nuit. Elle ne m'en avait pas parlé, et je pense que ça a été une bonne
décision. Julie a eu raison de se garder ce moment de bonheur qui a été le sien
pour elle toute seule.
La nuit dernière, Julie a pleuré
du bonheur de construire sa famille.
Je sais bien que sans notre fils, sans
notre second(e) enfant qui grandit en elle, elle n'aurait pas vécu ce moment. Je
sais bien que son bonheur est très étroitement lié à ces deux vies qu'elle aura
fabriquées durant de longs mois. Je sais bien que je ne devrais pas, mais je ne
peux m'empêcher de me croire à l'origine de son bonheur. Je ne devrais pas
penser ça parce que justement, je ne suis que l'origine du bonheur de Julie,
mais pas la cause. Moi seul, j'ai plus souvent fait pleurer Julie de chagrin
que de joie.
Je suis longtemps resté un enfant,
un ado attardé, et plusieurs parties en moi le sont encore. Par exemple, je suis
toujours cet enfant qui sait rester sage en attendant l'heure, mais qui devient
insupportable si cette heure est dépassée et que rien ne se passe. Pendant très
longtemps j'ai fait confiance à la parole des gens. J'ai eu de la chance
jusqu'à récemment de côtoyer des gens honnêtes qui ne m'ont jamais déçu, mais
deux personnes ont suffit en moins de deux ans pour changer cela. Tout au long
de ma vie je me suis imaginé chevalier, héros de tout un peuple, puis star
nationale, voire plus, idole de toutes les filles. Comme tout gosse, j'ai aimé faire
plaisir à mes parents, puis donner une bonne impression autour de moi. Comme
tout ado j'ai voulu impressionner les filles. Mais sans aucune audace pour les
aborder, je n'étais qu'un playboy dans mes scenarii. Comme tout adulte, je me
suis imaginé mari et père irréprochable. Comme tout le monde, je me suis trompé
sur mon compte à tous les âges : je n'ai sauvé la vie qu'à un chat, je ne suis pas
célèbre, je ne parviens pas à plaire autant que je le voudrais, je n'ai pas encore
acquis assez de patience envers notre fils et j'ai trop souvent déçu ma femme.
J'ai plus souvent fais pleurer
Julie de chagrin que de joie, mais la nuit dernière, Julie a pleuré du bonheur
de voir sa famille exister et grandir. Notre famille. Et même si je ne devrais
pas, j'ai besoin d'écrire que je suis la cause, l'origine, ce que vous voudrez,
mais j'ai besoin d'affirmer que ce bonheur n'aurait pas pu exister sans moi. Que
Julie n'aurait jamais pleuré comme ça si ça n'avait pas été moi, si ça n'avait
pas été notre fils, si ça n'avait pas été nous, ensemble.
Julie m'a choisi moi. Elle m'a
accepté pour époux et m'a choisit pour père de ses enfants. Julie sait tout de moi,
et malgré tous mes défauts, elle a pleuré de bonheur en pensant à notre
famille. Oui, c'est vrai, j'ignore si j'étais effectivement aux côtés de notre ainé et de son petit frère ou sa petite sœur dans les pensées de leur mère, mais je
m'en fiche. J'ai promis que je ne rendrais pas Julie malheureuse et j'ai déjà
échoué trop de fois.
Julie a pleuré de bonheur la nuit
dernière. J'en ai pris conscience il y a plusieurs mois déjà, mais j'en ai la
confirmation maintenant : je commence à devenir celui que j'ai toujours eu
envie d'être.
La nuit dernière, Julie a pleuré.